Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
FACULTÉ DE MÉDECINE D'ORAN CENTRE HOSPITALO-UNIVERSITAIRE  SERVICE DE MÉDECINE LÉGALE

Les maladies psychiatriques criminogènes

12 Juin 2013 , Rédigé par Garamije Gamarije Publié dans #criminologie

 

  • INTRODUCTION

La criminalité des malades mentaux est un problème de société vaste et complexe. La question de la criminalité des malades mentaux est double. Il s’agit d’envisager d’une part l’ensemble des processus psychopathologiques qui peuvent amener un malade mental à commettre un acte violent de nature criminelle. La dangerosité d’un malade mental est fonction du trouble pathologique dont il souffre. La maladie mentale n’étant pas unique, il faut s’intéresser aux types de malades mentaux considérés comme dangereux et ainsi potentiellement criminels du fait de leur trouble. Le passage à l’acte ne se traduit pas et ne se comprend pas de la même manière chez un criminel exempt de maladie mentale et chez un malade mental ayant accompli un crime. La question de la criminalité des malades mentaux définit des enjeux particuliers quant à la dangerosité du malade mental. Il faut analyser les aspects prédictifs de cette dangerosité de même que les aspects préventifs du passage à l’acte et de ses éventuelles récidives.

D’autre part, le criminel est régulièrement considéré par l’opinion populaire commune comme « un malade », « un fou dangereux ». Cette opinion est entretenue par les médias qui adoptent un jugement partial sur les malades mentaux. La presse écrite relate régulièrement de tels crimes.

Nos idées sur les malades mentaux sont profondément ancrées en nous et ce dès notre plus jeune âge. Nous devons alors nous poser la question : tout malade mental potentiellement dangereux est-il un criminel en puissance ? Le cœur de la problématique de la criminalité des malades mentaux peut être réduit à quelques questions essentielles. Peut-on considérer qu’un criminel est exempt de maladie mentale ? Ne peut-on pas dire qu’il y a pour le moins un trouble de la personnalité ? Ou du moins, quel est ce moment de folie qui le pousse à tuer, plus encore à préméditer son crime, et plus encore à récidiver, même plusieurs années plus tard pour certains ?

 

 

  • DEFINITION

Qu’en est-il réellement de la criminalité des malades mentaux à proprement parler ?

La criminalité des malades mentaux pose un dilemme dans le sens où il s’agit de définir la criminalité d’une part, la maladie mentale d’autre part, et de comprendre comment ces deux phénomènes peuvent s’intriquer.

Le terme crime vient du latin crimen, criminus, eux-mêmes issus de cernere, cerner et de cribum, crible. Ce terme a d’abord signifié « ce qui est à trier, à décider ». Ce sens a glissé vers le concept de « décision judiciaire », puis « d’accusation », pour finir par signifier « acte délictueux ». Le mot « crimme » apparaît dans la langue française en 1165 au sens large de « manquement grave à la morale, à la loi ». Puis vers 1283, son sens se restreint à « meurtre, assassinat, ou encore faute inexcusable ». En droit positif, le crime est la catégorie des infractions la plus grave. Le crime est jugé par la cour d’assises et la procédure mise en œuvre est nécessairement plus contraignante et formaliste qu’en matière correctionnelle ou contraventionnelle. Le crime se distingue du meurtre en ce sens que ce dernier n’est qu’une des infractions criminelles possibles. Si tout meurtre est un crime, tout crime n’est pas forcément meurtrier, tel est le cas du viol par exemple. La criminalité est l’ensemble des actes criminels commis pendant une période donnée. C’est pourquoi ne seront fait état ici que des infractions criminelles commises par des malades mentaux, bien qu’ils puissent réaliser d’autres délits pour lesquels la maladie mentale aura eu une influence certaine : kleptomanie engendrant des vols, escroqueries, …

La maladie mentale peut être définie comme une affection qui atteint l’ordre de la pensée et qui peut rendre difficile l’intégration de la personne dans la société. Le concept de maladie mentale génère des controverses, mais personne ne conteste le fait que le malade mental est avant tout une personne qui souffre. Il est à noter que la plupart des documents internationaux ont abandonné le terme de « maladie mentale » au profit de « troubles mentaux » (CIM-10, DSM-IV TR). Le terme de « trouble » n’est pas exact mais plusieurs associations de consommateurs ont dénoncé celui de « maladie » comme impliquant une domination de la médecine sur ce secteur. L’OMS, en 1992, précise néanmoins que le terme de trouble mental doit s’entendre comme « un ensemble de symptômes ou de comportements cliniquement reconnaissables associés dans la plupart des cas à la détresse et à la perturbation des fonctions personnelles. La déviance ou le conflit social seul, sans dysfonctionnement personnel, ne doit pas être inclus dans les troubles mentaux tels que définis ici ». Le malade mental criminel quant à lui est perçu comme doublement « déviant ». Il est d’une part déviant par rapport à la loi sociale : certains parlent de déviance criminelle sociologique. Il est déviant aussi par rapport à la norme mentale ou déviance clinique. Toute la question est de savoir s’il doit être avant tout perçu comme malade mental ou comme criminel.

 

  • FACTEURS DE RISQUE CRIMINEL Prédicteurs liées à l’enfance

– milieu familial brisé et abusif ;

– brutalités parentales, événements traumatiques ;

– perte précoce d’un parent ;

– éducation froide, hostile, permissive ;

– manque de supervision des parents ;

– placements familiaux ou institutionnels ;

– tendances incendiaires, énurésie et cruauté envers les animaux ;

– échec scolaire.

 

Prédicteurs liées aux antécédents criminels

– précocité de la délinquance violente ;

– multiplicité et gravité des infractions ;

– condamnations pour violences physiques ou sexuelles ;

– non-lieux pour troubles mentaux.

Prédicteurs liées à l’état mental

– immaturité psychologique, intellectuelle et morale ;

– mentalisation et verbalisation déficientes ;

– introspection difficile ;

– incapacité à communiquer avec autrui ;

– caractère extraverti avec anxiété ;

– personnalité psychopathique-limite ;

– troubles psychotiques ;

– conduites addictives ;

– impulsivité pathologique, perte de contrôle ;

– automutilations ;

– fantasmes déviants agressifs, sexuels, incendiaires, sadiques ;

– comportement imprévisible, irrationnel ;

– colère, hostilité ou ressentiment chroniques ;

– égoïsme, absence de compassion, inaffectivité ;

– hyperémotivité, instabilité émotionnelle ;

– fanatisme politique, religieux.

 

 

Prédicteurs liées aux modes de vie et aux attitudes sociales

– inadaptation socio-familiale ;

– absence d’emploi ;

– marginalité, toxicomanie, prostitution ;

– port d’arme, accès à des instruments de violence ;

– conduite automobile dangereuse, autres conduites à risques ;

– fréquentation des délinquants ;

– attitude de victime, vécu d’injustice, critique de la société ;

– négation ou minimisation des actes violents passés.

Prédicteurs liées à la situation pré criminelle

– situation de crise ;

– état de stress ;

– apparition d’un état dépressif ;

– idées de suicide ou d’homicide ;

– abus d’alcool et de stupéfiants ;

– activité et intensité des symptômes psychiatriques ;

– épisode fécond délirant ;

– forte intentionnalité de faire mal ;

– plan concret d’agression.

Prédicteurs liées à la victime virtuelle

– proximité affective et géographique de la victime ;

– menaces de mort à l’endroit de la victime ;

– désignation nominale d’un persécuteur ;

– victime hostile, provocatrice, dépendante, imprudente, jeune, de sexe féminin, handicapée, malade mentale, privée de liberté

Prédicteurs liées à la prise en charge.

– d’échec répété des tentatives de réinsertion ;

– d’absence de projets d’avenir réalistes ;

– d’attitude négative à l’égard des interventions ;

– du manque de référents médical et social ;

– de mauvaises relations avec l’entourage personnel et soignant ;

– d’absence, refus, inefficacité du traitement psychiatrique.

 

  • APPROCHE CLINIQUE

Tout crime, pour aussi horrible soit-il, n’est pas forcément pathologique. Le véritable homicide pathologique est rare. Selon Richard-Devantoy et al, 80 à 85% des homicides ne sont pas commis par des malades mentaux. En revanche, il survient le plus souvent dans un contexte psycho-affectif morbide, avec des motivations affectives, ce qui ne se retrouve pas forcément dans le meurtre non pathologique. Cousin propose de classer les criminels en trois groupes. Les « criminels normaux », exempts a priori de tout trouble mental, n’ont ni trouble de la personnalité, ni maladie mentale avérée. Ils sont la majorité des criminels. Les malades psychiatriques et plus spécialement les schizophrènes constituent le deuxième groupe. Ils sont bien moins nombreux. En dernier lieu, le groupe des criminels avec un trouble grave de la personnalité soulève plusieurs questions. En l’occurrence, sont-ils des malades mentaux ou non ? Faut-il adapter la peine et le traitement pénal ou médico-psychologique ?

Ce sont ces deux derniers groupes qui seront approfondis ici. Seules les pathologies psychiatriques les plus impliquées dans les crimes de par leur dangerosité potentielle seront étudiées ici. Les névroses sont relativement peu impliquées dans le passage à l’acte criminel, c’est pourquoi elles font l’objet d’un développement à part

La névrose et la criminalité

Le terme névrose provient du grec neuron « nerf » et du suffixe ose pour désigner des maladies chroniques dégénératives. Le concept de névrose a été utilisé pour la première fois par un médecin écossais, William Cullen. L’étymologie prouve qu’on a longtemps considéré les névroses comme des maladies du système nerveux contrairement aux psychoses, véritables « maladies de l’âme ». Les névroses étaient considérées comme «une faiblesse inhabituelle du système nerveux » sans pour autant que puissent être observées des lésions organiques. Au XIXème siècle, on range dans la catégorie des névroses toutes les maladies dont on n’arrive pas à trouver les causes. Les travaux de Charcot sur l’hystérie et ceux de Béart sur la neurasthénie vont enrichir la notion de névrose d’observations cliniques. Janet trouve dans l’origine des névroses un déficit de « la tension psychologique ». Ce n’est qu’au

XXème siècle que se met en place la définition, largement inspirée des travaux de Freud. Freud découpait les maladies mentales en trois grandes catégories : les névroses, les psychoses et les perversions. Pour Freud, les névroses sont tout à la fois une maladie de la personnalité avec présence de certains symptômes, et une organisation pathologique du caractère « le caractère névrotique » liée à l’histoire infantile du sujet. La notion de névrose a évolué au sein des grandes classifications des troubles mentaux. Le DSM III (acronyme anglais de Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux, 3ème révision, classification proposée par l’association américaine de la psychiatrie) remplace le terme de « névrose » par celui de « trouble névrotique ». Avec ce changement de dénomination, la maladie est plus décrite par rapport à ses symptômes que comme la résultante d’une cause déterminée et identifiable. La conception freudienne n’est que partiellement reprise. La CIM-

10 (Classification Internationale des Maladies élaborée par l’Organisation Mondiale de la Santé) et la DSM IV TR, actuelles grandes classifications des maladies mentales, consacrent l’effacement du terme de névrose au profit d’une description symptomatique de la maladie.

Michel Basquin considère la névrose comme « une affection perturbant le confort existentiel du sujet, retentissant sur sa vie sociale, mais sans rompre le contact avec la réalité d’un monde normalement perçu ». Cette perception objective de la réalité est d’ailleurs ce qui fait la différence essentielle entre psychoses et névroses. Le psychotique n’a de la réalité que celle qu’il se crée. Il existe quatre principales formes de névroses : le trouble anxieux généralisé dit avant névrose d’angoisse, le trouble dissociatif anciennement dénommé névrose hystérique, la névrose phobique et la névrose obsessionnelle. Les névroses sont caractérisées par un conflit intrapsychique qui fait l’objet d’un refoulement. Ceci en fait des individus où l’angoisse prédomine. Dans le trouble anxieux généralisé, l’anxiété ne porte sur rien de précis. Elle est générale comme l’indique son nom et domine le sujet de manière permanente. Elle peut entraîner des troubles du sommeil, des spasmes, voire une véritable attaque de panique. la névrose hystérique (on parle aujourd’hui de trouble dissociatif. Le trouble dissociatif est une manifestation somatique de l’angoisse se répercutant sur le corps – paralysie, cécité – sans qu’on puisse établir de cause organique. La manifestation de la maladie est souvent impressionnante et les sujets sont des êtres particulièrement fragiles et vulnérables. Dans la névrose phobique, l’angoisse se répercute sur des objets ou sur des situations. Dans la névrose obsessionnelle en revanche elle porte sur le mental ou les idées, sans que le sujet ne puisse plus s’en débarrasser. Les névroses entraînent des troubles des conduites sociales, pouvant toutefois varier en intensité en allant de simples gênes à une véritable invalidation pour le sujet.

D’un point de vue criminologique, l’hystérie peut amener à commettre des homicides, la névrose obsessionnelle des comportements pyromaniaques, exhibitionnistes ou kleptomaniques, et la mythomanie névrotique peut conduire à la réalisation des escroqueries.

Ces trois derniers comportements sont toutefois considérés comme des délits et non des crimes d’un point de vue juridique. Une personne névrosée peut aussi présenter une phobie d’impulsion criminelle. Le patient lutte contre une idée monstrueuse, dangereuse à laquelle il se refuse. L’idée grandit et devient obsédante. Sa peur de céder l’aide à la combattre mais progressivement cette idée se transforme en une irrésistible envie susceptible de canaliser toutes ses angoisses : le passage à l’acte est imminent. Ce peut être le cas des mères qui craignent de blesser ou de laisser tomber leurs bébés. C’est aussi l’hypothèse de celui qui va pousser un anonyme sur les rails du métro. Souvent, la crainte de faire du mal à cet anonyme provient de la crainte que le névrosé a qu’on lui fasse la même chose. Le névrosé, parce qu’il est sans cesse au contact de la réalité, non seulement sera considéré par la justice comme responsable de ses actes, mais aussi il sera enclin à un très fort sentiment de culpabilité après le passage à l’acte. Ce dernier cherchera à tous prix à expier son crime.

Impulsions homicides ou phobies d’impulsion restent des comportements exceptionnels en matière criminelle. Tel n’est pas le cas des troubles mentaux qui vont dès à présent être abordés dans leurs aspects cliniques dans un premier temps.

  • Les affections psychiatriques

  • Maladies mentales à potentiel criminogène avéré

Elles sont principalement les psychoses et les troubles de l’humeur.

  • Les psychoses

La psychose est un état traduisant un bouleversement radical des rapports du sujet avec la réalité et avec lui-même. Les cliniciens repèrent des psychoses aiguës, d’évolution inférieure à six mois, et des psychoses chroniques, d’évolution supérieure à six mois, se manifestant le plus souvent durant la vie entière.

 

Les psychoses chroniques

 

  • La schizophrénie

Il s’agit d’une maladie grave, complexe, aux formes cliniques variées, touchant l’adulte jeune et évoluant de façon chronique durant toute une vie. Elle aboutit à une désorganisation profonde du sujet. L’évolution est entrecoupée de moments féconds, volontiers délirants, où la question de la dangerosité prend toute sa dimension. L’unité de l’être est rompue. Tout devient atypique, bizarre, incompréhensible pour autrui et pour le sujet lui-même. Les premiers symptômes apparaissent entre 15 et 45 ans avec un pic moyen autour de 20 ans chez les hommes et 30 ans chez les femmes. Le repérage précoce de la maladie est difficile, surtout lorsqu’elle survient au moment de l’adolescence laissant penser à tort à une crise passagère. Cependant, plus ce diagnostic sera porté tôt, plus la prise en charge sera efficace, et meilleur sera le pronostic. Le terme de schizophrénie a été introduit par E. Bleuler en 1911. Il va se substituer à celui de démence précoce (dementia praecox) proposé par Kraepelin à la fin du XIXème siècle. Kraepelin et Bleuler vont réunir en une seule maladie ce qui avant été décrit comme trois états morbides distincts.

Pour Kraepelin, ce regroupement est justifié par une évolution vers un affaiblissement intellectuel de la personne. Pour Bleuler, il n’existe pas toujours cet état d’affaiblissement intellectuel mais le schizophrène ne retrouve jamais son état antérieur. Bleuler justifie ce recoupement par le fait qu’il existe de manière récurrente chez ces patients une dissociation du psychisme en complexes indépendants qui altèrent l’unité de la personnalité. Bleuler va distinguer des symptômes dits fondamentaux c’est-à-dire propres à la dissociation, et des symptômes accessoires, expression de la psychose. Henri Ey quant à lui analyse la dissociation du psychisme comme étant double : il y a une dissociation de la conscience, et une dissociation de la conscience de soi. En 1952, les chercheurs Delay et Deniker ont mis en évidence l’influence de la chlorpromazine dans les psychoses schizophréniques, molécule sans incidence sur les autres psychoses délirantes chroniques. Ainsi a été dévoilée la spécificité de la schizophrénie. Mais une question demeure : la schizophrénie doit-elle être considérée comme une maladie unique ou comme un groupe de psychoses ? En France par exemple est distinguée la schizophrénie simple, de la schizophrénie paranoïde qui fonctionne comme la paranoïa sur un délire d’interprétation, de la schizothymie qui se manifeste comme un trouble de l’humeur, ou encore de la schizophrénie héboïdophrénique qui est un trouble du comportement de type psychopathique.

L’étiologie de la schizophrénie est encore sujet à discussion. Il semble exister un certain consensus pour une composante génétique, même si seulement 10% des schizophrénies sont des formes familiales. Il existe vraisemblablement une interaction avec des facteurs environnementaux constituant le modèle polygénique et multifactoriel à seuil. Plusieurs gènes conféreraient une prédisposition à la maladie, elle-même influencée par l'environnement (infection virale in utéro, complications obstétricales à la naissance, traumatisme crânien dans l'enfance, stress …). La conjonction des facteurs génétiques et environnementaux conduirait à l'apparition de la maladie lorsqu'un certain seuil de vulnérabilité est atteint. L’usage de substances psychoactives illicites, en l’occurrence le cannabis, joue un rôle précipitant dans l’apparition de la maladie et ensuite aggravant du fait essentiellement d’une mauvaise observance thérapeutique. Il favorise les rechutes délirantes. Certains neurotransmetteurs seraient également impliqués, surtout le système dopaminergique sur lequel vont intervenir les antipsychotiques.

Les caractéristiques cliniques décrites dans le DSM IV-TR sont d’une part un état aigu, soit inaugural, soit moment fécond d’une schizophrénie installée de façon chronique, et d’autre part un syndrome chronique. L’état aigu se caractérise par des signes positifs et par un trouble de l’humeur. Le syndrome chronique comporte les troubles de la pensée qui persistent et des signes négatifs.

  • Les signes positifs ou productifs comportent des troubles de la pensée, un délire et des hallucinations.

Les troubles de la pensée marquent la dissociation, noyau de la schizophrénie. Au début, le discours est vague, difficile à saisir. L’évolution se fait vers des troubles du cours de la pensée avec présence de barrages et de fadings. Les barrages correspondent à un vide de la pensée, une sorte « d’arrêt sur image ». Le sujet a l’impression d’avoir un blanc qu’il vit dans la plus grande indifférence. L’observateur note une suspension brutale du discours. Lorsque le sujet reprend la parole, il poursuit sur le même thème ou sur un autre thème. Les fadings correspondent à une perte du rythme et de la tonalité mais sans véritable vide. Tout se passe comme si la voix s’évanouissait. Les contenus de la pensée sont également affectés avec perte de la logique et diffluence.

Le délire correspond à une conviction fermement établie sur des fondements inadéquats. Il se décrit selon des mécanismes (intuitifs, interprétatifs, imaginatifs, hallucinatoires), des thèmes (persécution, mégalomanie, mystique, …), une conviction délirante avec adhésion au délire plus ou moins forte et un vécu émotionnel du délire particulier. Dans la schizophrénie, on retrouve volontiers des idées délirantes de persécution, des idées de référence (« on parle de lui »), des idées d’influence (conviction que ses actes ou ses pensées sont sous l’emprise d’un tiers, un automatisme mental (tout se passe comme si une partie du cerveau échappait au contrôle du sujet pour être commandée par un tiers, phénomène décrit par de Clérambault).

 

Les hallucinations expriment un trouble de la perception. Classiquement, on parle

« d’une perception sans objet à percevoir ». Elles peuvent être élémentaires (un bruit, un éclair lumineux, …) ou complexes (des voix, des images, des sensations tactiles,…)

 

  • Les anomalies de l’humeur sont fréquentes, à type d’état dépressif associé à un émoussement affectif et à des affects illogiques signant la dissociation idéo-affective (comme par exemple un rire en évoquant un souvenir triste).

  • Les signes négatifs dominent l’évolution du sujet en dehors des phases processuelles. Le contact avec le psychotique donne une impression d’étrangeté, de bizarrerie. Les comportements sont aussi saugrenus que surprenants, sur fond d’impénétrabilité ou d’hermétisme. Le sujet est détaché, indifférent au monde extérieur et ambivalent (contradictions dans tous les domaines : intellectuel, affectif [« aimer et haïr en même temps »], comportemental [« vouloir et ne pas vouloir en même temps »]). Il existe une alogie, c’est-à-dire une absence d’initiative et de volonté. Le sujet peut rester inactif des heures durant ou bien se livrer à une activité stéréotypée. Il est négligent, parfois incurique. Le repli social peut dominer le tableau avec une tendance à s’isoler de ses pairs.

L’évolution de la maladie joue un rôle capital. Elle dépend grandement du niveau de stimulation sociale : « si on ne fait rien, le schizophrène n’évolue pas favorablement ». Le contexte social pourrait influencer notamment le contenu des idées délirantes. Il y aurait moins d’idées délirantes mystiques qu’il y a un siècle. Le pronostic est d’autant plus mauvais que l’âge de début est précoce car il n’a pas permis au sujet d’acquérir et de consolider certains apprentissages (domaines intellectuel, matériel, affectif, …). De même, le niveau d’intelligence doit être considéré : plus l’efficience intellectuelle est faible, plus le pronostic est sombre. Le risque suicidaire demeure une grande préoccupation : 1 patient sur 10 décède dans les stades initiaux de la maladie. Il est d’autant plus à craindre qu’il existe des antécédents suicidaires. Il est prégnant lors des moments dépressifs et/ou de désespoir lorsque le sujet est moins dissocié et qu’il prend la mesure de son handicap, ou lors des moments délirants puisqu’il peut y avoir obéissance à certaines injonctions délirantes.

 

La plupart du temps, il existe un déni de la maladie, une réticence à la prise du traitement et une mauvaise observance de celui-ci. L’ensemble de ces signes contribuent à une mauvaise évolution et au développement d’une potentielle dangerosité.

  • Les délires paranoïaques

Le terme paranoïa a été créé en 1772 par Vogel. Il est formé du grec para (à côté) et noos (esprit, raison). Au XIXème siècle en Allemagne, le terme de paranoïa désigne tous les délires sans distinction. Pour Krafft-Ebing il s’agit d’une maladie dégénérative qui n’entraîne pas d’altération intellectuelle. Mendel limite son champ aux délires systématisés sans hallucination. Kraepelin assimile paranoïa à un délire chronique systématisé qui ne peut être contredit. Cette version est actuellement retenue par les psychiatres.

Les délires paranoïaques entrent dans le cadre des psychoses chroniques non dissociatives, donc autres que la schizophrénie. L’âge de début est plus tardif, en moyenne entre 35 et 55 ans. L’incidence des psychoses paranoïaques augmente avec l’âge. Malgré une évolution chronique, il peut exister des périodes de rémission entrecoupées de périodes processuelles. Les femmes semblent globalement plus fréquemment atteintes que les hommes. Mais certaines formes cliniques, comme le délire de jalousie, touchent préférentiellement les hommes. Ce délire est favorisé par une alcoolodépendance. Les facteurs de risque sont encore mal déterminés. L’existence d’une personnalité prémorbide de type paranoïaque, schizoïde ou évitante est souvent retrouvée. D’autres facteurs pourraient jouer un rôle tel que les handicaps sensoriels, surtout la surdité, l’immigration ou l’appartenance à une classe socio- économique faible.

Le diagnostic de psychose chronique n’est guère aisé dans la mesure où le sujet garde une apparente normalité tant dans le contact que dans le comportement, à condition de ne pas aborder la thématique délirante. Il s’agit de délires systématisés. Plusieurs formes cliniques sont décrites, relativement cloisonnées entre elles. Les caractéristiques du délire doivent être repérées. Il importe d’abord de définir le mécanisme, c’est-à-dire le processus de pensée ou les perceptions sur lesquelles le délire prend forme. Les deux mécanismes prépondérants sont les interprétations (explication erronée d’un fait réel) et les intuitions (le sujet admet comme réelle et vraie une idée fausse). Ils sont source d’une potentielle dangerosité tant envers le sujet lui-même que pour son entourage.

Le délire est sous-tendu par un ou plusieurs thèmes. En ce qui concerne la question de la dangerosité, on retrouve volontiers des thèmes de persécution. Le sujet acquiert la conviction bientôt inébranlable qu’un autre ou d’autres cherchent à nuire à sa personne physique, à son psychisme, à ses biens, à sa réputation, … Le danger devient maximal lorsque le délirant ne voit pas d’autre solution pour « survivre » que d’éliminer le persécuteur désigné. Dans le thème d’influence, le sujet a l’impression « d’être commandé par une force extérieure ». Le thème de jalousie se retrouve souvent en cas de dépendance à l’alcool. Le sujet a la conviction d’être trompé par la personne aimée. Une telle situation peut conduire dans quelques cas au meurtre de la personne aimée et/ou du prétendu rival. Les délires paranoïaques sont systématisés, contrairement au délire rencontré dans la schizophrénie paranoïde, dans la mesure où ils présentent un développement cohérent et ordonné. L’adhésion du sujet à son délire, sa conviction, peuvent le rendre dangereux. Plus il investit affectivement l’activité délirante, plus il est susceptible de passer à l’acte (réactivité délirante). La qualité de la communication avec le thérapeute peut permettre d’établir une alliance thérapeutique indispensable à une prise en charge correcte, diminuant ainsi la potentielle dangerosité.

Un cas de psychose aigue

 

  • La psychose du postpartum ou psychose puerpérale

La psychose puerpérale est une entité à part du fait de spécificités étiologiques et séméiologiques. Elle peut survenir entre le premier jour et jusqu’à deux semaines après l’accouchement. Si le baby-blues touche 50 à 80% des jeunes accouchées et la dépression du post-partum 10 à 15% des femmes, la psychose puerpérale aiguë est rare (0,1%) et concernent de jeunes femmes (20 à 35 ans). Il s’agit d’une bouffée confuso-thymo-délirante aiguë. L’état de conscience est fluctuant. La femme peut présenter un état oniroïde. Elle associe des symptômes affectifs tels que tristesse, idées suicidaires, agitation anxieuse ou parfois agitation maniaque à un délire centré sur le nouveau-né, comme une négation de grossesse ou de l’enfant, enrichi d’une culpabilité délirante et d’idées de persécution. Ce tableau peut aboutir au meurtre de l’enfant. Il est urgent de prendre en charge en milieu psychiatrique la mère et de la séparer de l’enfant afin de préserver la vie de ce dernier jusqu’à un retour à la normale. Actuellement, ces patientes sont accueillies dans des unités mère-enfant permettant d’impliquer la mère dans les soins de son nouveau-né sous la surveillance stricte des soignants.

  • Les troubles bipolaires de l’humeur

 

Les troubles bipolaires ont été nommés successivement psychose maniaco-dépressive, maladie maniaco-dépressive avant de devenir troubles bipolaires par la CIM-10 et la DSM- IV-TR. L’abandon du terme de psychose en fait une catégorie à part entière à côté des névroses et des psychoses, les troubles bipolaires n’étant plus assimilés à ces dernières. Puis c’est le terme de maladie qui a été abandonné au profit de celui de trouble, insistant dès lors sur le caractère symptomatique de la maladie et non plus sur son étiologie.

 

Théophile Bonet fut le premier à mettre en lien manie et mélancolie Théophile en

 

1686. Baillarger en 1854 décrit cette maladie comme une folie à double forme tandis que Falret emploie le terme de folie circulaire. Kraepelin classe en 1915 les manies et les dépressions en fonction de leurs symptômes. Il distingue 18 types évolutifs de folie maniaco- dépressive, dont les formes unipolaires et bipolaires, mais il ne les oppose pas pour autant.

Ultérieurement, Kleist et Leonard subdivisent les formes unipolaires (dépressives) et formes bipolaires. Cette conception dichotomique du trouble est rejointe par Perris, Angst et Winokur.

 

Les troubles bipolaires représentent un trouble de l’humeur spécifique comportant des accès maniaques ou hypomaniaques (pôle élevé) et des accès dépressifs (pôle bas). L’existence d’au moins un épisode maniaque ou hypomaniaque (y compris le virage maniaque sous antidépresseur) est indispensable pour porter le diagnostic de bipolarité. Ces accès sont récurrents. Cette maladie, qui affecte la vie entière, débute entre 15 et 25 ans. Chez les sujets jeunes il faut se poser la question d’un éventuel mode d’entrée dans la schizophrénie. Les troubles bipolaires sont sous diagnostiqués. Or leur pronostic est grave à cause de la souffrance importante pour le sujet due à la récurrence des épisodes et du risque suicidaire important (le trouble bipolaire est la première cause de suicide dans la population générale ; 25 à 50 % des patients bipolaires feront une tentative de suicide dans leur vie), du retentissement relationnel, familial et professionnel et de la fréquente association à des conduites addictives (50 à 60 % : alcool surtout, cannabis, …). Chaque accès est une urgence, la mélancolie à cause du risque majeur de suicide, la manie à cause d’un risque social devant des troubles graves du comportement mettant en danger tant le sujet lui-même que l’entourage. Le traitement comporte un régulateur de l’humeur prescrit sur plusieurs années.

 

  • La manie

 

Le terme a été employé pour la première fois par Arétée de Cappadoce au deuxième siècle avant notre ère. L’accès maniaque a le plus souvent un début progressif sur quelques jours, marqué par une irritabilité et une modification progressive de l’humeur. Ce début est parfois brutal. Le sommeil est le symptôme phare : le sujet ne dort presque plus. Il est autant en forme le jour que la nuit. Il épuise son entourage. Il se sent « trop bien » et ne demande aucune aide.

À la phase d’état, le sujet présente une accélération dans tous les domaines : thymique, cognitif et comportemental. L’humeur est expansive, faite d’euphorie et d’exaltation. Le sujet est hypersyntone à l’ambiance. Il veut faire participer les autres à sa joie. Mais il se montre volontiers ironique et caustique, parfois soudainement agressif. La pensée est diffluente avec une fuite des idées et une tachypsychie (accélération de la pensée). Le sujet parle constamment, véritable logorrhée. Les associations d’idées se font par assonances, jeux de mots, donnant des « coq-à-l’âne ». Les idées ont une dimension mégalomaniaque : il élabore des projets grandioses, dans un sentiment de toute-puissance avec une fréquence des thèmes érotiques. Mais la pensée reste superficielle et la perte de contact avec la réalité la rend inefficace. Le comportement est dominé par une agitation psychomotrice. Le sujet est en perpétuel mouvement, entraîné dans un excès d’activités (achats inconsidérés, prodigalité, investissements financiers irréalistes, excès épistolaire …) Il existe une désinhibition sexuelle avec des rapports sexuels anarchiques et surtout non protégés l’exposant au risque des maladies sexuellement transmissibles.

 

Le maniaque épuise mais va également peu à peu s’épuiser et même se mettre gravement en danger. Les incidences néfastes sont variées mais volontiers lourdes de conséquences pour le sujet et pour l’entourage : dépenses excessives avec chèques sans provision, risque de ruine, excès de vitesse avec accidents de la voie publique, prise de décisions inconsidérées (décision de divorce, vente rapide d’un bien immobilier, achat d’une automobile luxueuse, d’un grand appartement, …). Le maniaque peut devenir potentiellement dangereux car il ne tolère aucune frustration. Le passage à l’acte est favorisé par la prise d’alcool.

 

  • La mélancolie

 

La mélancolie peut se décliner en miroir de la manie. Dans le trouble bipolaire, ces deux états extrêmes s’alternent, à une fréquence et avec une répartition variable selon le sujet et selon l’évolution de la maladie. Le début est le plus souvent progressif, parfois brutal. Un suicide inattendu peut augurer l’entrée dans la mélancolie. C’est une urgence de tous les instants. L’humeur est fortement dépressive avec inhibition psychique (ralentissement de la pensée surtout) et motrice (extrême lenteur, visage figé, « de cire », avec le « classique oméga mélancolique »), laissant le sujet sans volonté, dans l’incapacité de se mettre naturellement en mouvement. La douleur morale est majeure. Le sujet est insensible à toute forme de réassurance. Il développe un sentiment d’impuissance et d’autodépréciation ainsi que des idées d’incurabilité et d’indignité. Le mélancolique se réfugie volontiers dans son lit, pour fuir (clinophilie). L’inappétence pour les aliments est parfois massive avec un amaigrissement notable.

La mélancolie est caractérisée par une thématique délirante dominée par le thème de l’auto-accusation. L’angoisse massive est accentuée tôt le matin, au lever du jour, le plus souvent après une nuit d’insomnie, laissant sujet dans l’incapacité de démarrer une nouvelle journée. Elle facilite le passage à l’acte. Le mélancolique est persuadé d’avoir commis une faute. Il mérite un châtiment. « Le mélancolique ne se vit pas malade, il se sait coupable ». Le suicide collectif, dit encore suicide « altruiste », pousse le malade à sacrifier les siens, le conjoint ou ses enfants, afin de les délivrer à leur tour de ce châtiment. Il est surtout le fait de personnalités complexes. Il n’est d’ailleurs pas certain de nos jours qu’il soit vraiment typique

de la mélancolie mais relèverait plus généralement d’un syndrome dépressif majeur.

 

Il est des cas où un trouble mental potentiellement dangereux n’est pas considéré comme une maladie mentale.

 

Les troubles graves de la personnalité a potentielle dangereux

 

Après avoir donné quelques précisions générales sur la personnalité, il faudra voir plus en détail les deux personnalités potentiellement dangereuses : la personnalité psychopathe et la personnalité état-limite

 

  • Notions générales sur la personnalité

 

Le terme personnalité est issu du mot personne qui lui-même vient du latin persona qui désignait les masques portés par les acteurs de théâtre. Les masques, en nombre limité, correspondaient à des caractères fixes à partir desquels les spectateurs pouvaient s’attendre à des comportements ou à des attitudes déterminées. En effet, la vie sociale a besoin de prévisibilité du comportement d’autrui.

La personnalité se définit, chez un sujet donné, comme le résultat de l’intégration dynamique de composantes cognitives (perception et vision de soi-même, d’autrui et des événements, pensées, fonctions intellectuelles supérieures), émotionnelles (affects, adéquation de la réponse émotionnelle en fonction de la situation), et comportementales (contrôle des impulsions). L’agencement de ces différents facteurs constitue les traits de personnalité, c’est-à-dire les modalités relationnelles de la personne. Un même individu peut posséder des traits de personnalités différentes, pouvant même se modifier en fonction des moments de crise ou des situations particulières de la vie. Ces tendances donnent à la personnalité sa dynamique. La personnalité est stable, contribuant à la permanence de l’être qui aura tendance à répondre de la même manière face à une même situation (notion de prédictivité). Elle est également unique, rendant le sujet reconnaissable, distinct des autres. Elle rend compte de l’originalité de chacun.

 

La personnalité devient pathologique lorsqu’elle se rigidifie. Les réponses deviennent inadaptées à une situation donnée. Le sujet est en souffrance. Le fonctionnement social ou professionnel en est altéré. Un trouble de la personnalité est une modalité durable de penser, de ressentir et de se comporter, qui est relativement stable dans le temps. Le diagnostic de personnalité pathologique doit tenir compte de l’origine ethnique, culturelle et sociale du sujet. Il ne peut être réalisé lorsque le sujet souffre d’un trouble psychiatrique ;

  • Cas de personnalité ou la question de la dangerosité peut être posée

 

Personnalité psychotique ou associale

 

La personnalité psychopathique, encore dite dyssociale ou antisociale, se caractérise par un ensemble d’anomalies du caractère et des conduites marquées par une impulsivité, une imprévisibilité, une intolérance aux frustrations et une instabilité affective et socio- professionnelle. Le manuel américain diagnostique et statistiques des trouble mentaux, 4ème édition, décrit la personnalité antisociale comme « un mode général de mépris et de transgression des droits d’autrui qui apparaît dans l’enfance ou au début de l’adolescence et qui se poursuit à l’âge adulte », ajoutant que « la tromperie et la manipulation sont au centre de la personnalité antisociale ».

 

Sur le plan épidémiologique, toutes les études montrent une prédominance masculine. Il existe une surmortalité liée au suicide, aux conduites à risque, aux conduites addictives (alcool et drogues). Mais elle a tendance à diminuer à mesure que l’âge augmente. Le niveau d’études atteint par ce type de personnalité est en règle générale assez faible.

 

Cliniquement, le psychopathe se caractérise par une biographie très instable. Trois mots clés reviennent en permanence pour le décrire : instabilité, inadaptabilité, impulsivité. Enfant, le futur psychopathe présente des manifestations caractérielles à type de colères, d’opposition aux parents, d’agressivité envers les autres enfants. La scolarisation est colorée par ces troubles du comportement et reste chaotique, faite de ruptures et de renvois. Les troubles s’aggravent à l’adolescence avec apparition de conduites nettement délinquantes, de conduites addictives et d’une sexualité précoce avec prises de risques inconsidérés. À l’âge adulte, le psychopathe continue à progresser dans la plus grande instabilité professionnelle et affective. Sa très faible tolérance à la frustration et un abaissement du seuil de décharge de l’agressivité expliquent la fréquence des passages à l’acte impulsifs (agressions plus ou moins violentes d’autrui, tentatives de suicide, fugues, crises d’agitation, …) Ce comportement est nettement aggravé lorsque le sujet est alcoolisé. Le psychopathe n’éprouve ni culpabilité, ni honte, ni remords. Il agit froidement dans une absence totale d’empathie envers autrui et même avec un réel mépris. Le sujet présente une incapacité à maintenir des relations durables. D’ailleurs, les relations qu’il tisse sont utilitaires, le psychopathe étant volontiers manipulateur, théâtral, aimant tromper l’autre par pur plaisir ou par profit. Il est incapable de se projeter dans l’avenir, vivant dans l’instantané. Il est perpétuellement dans le passage à l’acte qui vient en lieu et place de la parole. Ceci entraîne une certaine incapacité à s’amender sous l’effet des sanctions. Le psychopathe ne reconnaît pas la loi sociale qu’il méprise. Il gère sa vie en fonction de sa seule loi avec une tendance à rejeter toute responsabilité sur autrui ou sur la société, mettant en scène une attitude irresponsable.

 

Autour de la quarantaine classiquement, il présenterait un phénomène d’épuisement des manifestations antisociales dû à l’âge certes, mais aussi à l’accumulation d’événements de vie adverses et/ou de sanctions judiciaires. Il conserve néanmoins les mêmes caractéristiques psychologiques, en l’occurrence la dysphorie. Si à 40 ans, un psychopathe n’est pas mort suicidé, par accident, ou assassiné, il peut parfois trouver un certain équilibre auprès d’une compagne plus âgée que lui.

Plusieurs études ont évoqué une probable participation génétique. Mais avant tout, l’environnement et les différentes interactions jouent un rôle primordial dans la genèse de ce trouble grave de la personnalité. Un travail de Widom, cité par Petitjean, portant sur 908 enfants suivis en moyenne sur 15 ans et évalués par une méthodologie rigoureuse, conclut que le fait d’être victime de sévices et/ou d’abandon dans l’enfance est un prédicteur de comportements antisociaux sévères à l’âge adulte.

 

Personnalité état limite ou borderline

 

L’état limite ou borderline doit être considéré comme un trouble de la personnalité. Il est le diagnostic le plus employé mais aussi le plus polémique. Il ne doit pas devenir un diagnostic « fourre tout ».

 

L’état limite va se forger sur des bases narcissiques fragiles. Il semble qu’il débute vers la fin de l’adolescence. Mais il apparaîtrait que la plupart des enfants instables, hyperactifs, sont en fait des états limites. Selon des études françaises et américaines, l’état limite se retrouverait chez 10 à 15 % des adolescents. Ce trouble de la personnalité serait plus fréquent chez la femme : 18 % de filles/10 % de garçons. Le dysfonctionnement créé par ce type de personnalité dure environ vingt ans avec une acmé vers 30 ans où le risque suicidaire atteint son maximum (environ 5 %). L’évolution au-delà de 40 ans se fait soit vers une insertion professionnelle réussie, soit vers un comportement asocial.

 

Aucun symptôme n’est pathognomonique de l’état limite. C’est l’existence d’une symptomatologie multiple, véritable patchwork clinique, qui reste le premier argument clinique. Mais c’est au niveau de la perturbation relationnelle que se définit le mieux ce type de personnalité. Des antécédents personnels d’abus sexuels sont fréquemment retrouvés. Ils concernent plus de la moitié des adolescents états limites. Dans 70 % de ces cas, l’abus est associé à une maltraitance physique. Ces abus sont, dans un tiers des cas environ, le fait du père, avec plus ou moins négligence de soins de la part de la mère. Une énurésie dans l’enfance est souvent retrouvée.

Cette personnalité va toucher l’ensemble de l’être. Au niveau cognitif, on observe des troubles de l’attention et des difficultés de planification des tâches. Sur le plan des affects, l’état limite se caractérise par un vécu de vide ainsi qu’un sentiment d’abandon par autrui ou de rejet. Il décrit une profonde mésestime de lui-même. Il a tendance à interpréter les jugements d’autrui à son égard comme négatifs. Il est volontiers et rapidement en colère, hostile à autrui, ce qu’il va manifester par des décharges clastiques, soudaines et violentes. Son comportement est dominé par l’impulsivité qui en fait toute sa potentielle dangerosité. Les troubles des conduites sont fréquents et variés, tels que des fugues, des tentatives de suicide à répétition ou des automutilations. Ils correspondent à des exutoires à la tension psychique constante vécue par l’état limite. Il multiplie les conduites à risque, d’autant plus délétères pour lui et pour autrui qu’il s’alcoolise volontiers ou qu’il consomme des substances psychoactives illicites, en l’occurrence du cannabis. Sa relation à l’autre est basée sur une relation anaclitique. L’autre disparaît de sa vue et tout s’écroule. Cela aboutit à une incapacité à tolérer la moindre frustration, le moindre départ, la moindre perte. Ces relations interpersonnelles varient brusquement entre séparations et réconciliations, attitudes le plus souvent inexpliquées.

Les états limites se compliquent fréquemment d’un état dépressif, davantage exprimé par une sensation de vide et de colère que par une tristesse. Lors de périodes de grande décompensation, l’état limite peut présenter un tableau d’allure psychotique avec une appréhension troublée de la réalité.

Sur le plan psychopathologique, le clivage domine le psychisme. L’état limite a une vision manichéenne de lui et du monde : tout est bon d’un côté, tout est mauvais de l’autre. Il va tantôt être le bon objet, tantôt le mauvais objet. Ces deux parties de lui-même coexistent, il en a conscience, mais l’une ne peut servir à l’autre d’expérience. Elles avancent sans jamais s’épauler. Il n’y a pas de synthèse harmonieuse. Mais contrairement au psychotique, l’état limite a une perception correcte de la réalité, pouvant faire la distinction réel/imaginaire.

Perversité et perversion

Perversité est un terme issu du latin perversitas qui apparaît au XIIème siècle pour désigner le goût pour le mal et le plaisir qu’on en retire. Le terme perversion apparaît plus tard, au milieu du XVème siècle, pour signifier le changement en mal. Perversion va rentrer progressivement dans le vocabulaire spécialisé de la psychopathologie. Le pervers devient celui par qui la perversité est utilisée, c’est-à-dire un être susceptible de faire du mal et d’en ressentir une jouissance. La perversion va ainsi prendre une connotation psychopathologique sexuelle. Dans son ouvrage sur la psychopathia sexualis, Krafft-Ebing réalise à la fin du XIXème siècle une description des différentes perversions sexuelles. En 1927, Delmas et Boll vont introduire la notion de constitution perverse. Il règne sur ce concept une charge sociale importante, encore de nos jours. Ainsi que l’expose J. Tignol, « étant entendu que la loi règle par ailleurs, et de toute façon, les conséquences éventuelles de leurs actes, nous devons aussi soigner les pervers, sauf à admettre qu’ils ne sont pas malades. Mais s’ils ne sont pas malades, nous n’avons pas à nous en occuper à titre médical ». La perversion pose la question de savoir s’il s’agit d’une organisation psychique particulière ou de comportements sexuels aberrants où l’autre est réduit à l’état d’objet de plaisir à travers une mise en scène plus ou moins élaborée ?

Ainsi que le définit la psychiatre et psychanalyste M.-F. Hirigoyen, dans son ouvrage traitant du harcèlement moral, le pervers exerce sur l’autre une relation d’emprise. Il vit dans le déni de l’altérité. Il ne ressent aucune culpabilité ni aucune empathie, incapable de discerner ce que l’autre peut ressentir en matière d’affects, d’émotions. Il prend un plaisir morbide à le voir souffrir, jouissant de sa douleur, le reléguant à la place d’un objet qu’on domine au gré de fantasmes. Le pervers redoute l’émergence de ses pulsions agressives comme s’il se sentait à chaque fois en danger d’effondrement psychique. Il a besoin de tout contrôler, ce qui le rend difficile à repérer par les forces de l’ordre. Il agit dans le calme, avec froideur et de façon rationnelle, afin de transgresser la loi comme il l’entend. La recrudescence des agir pervers est importante lorsque le sujet traverse des périodes d’instabilité psychique au gré des événements de vie. Les pervers sont-ils vraiment des malades ? Pourtant, leurs actes sont le plus souvent monstrueux et anormaux. Et c’est en toute lucidité qu’ils vont commettre les pires atrocités. Lorsque, enfin, ils ont pu être conduits jusque devant un policier ou un soignant, ils se délectent volontiers de l’horreur qu’ils lisent dans le regard de l’autre écoutant le récit de leurs actes violents.

 

 

 

  • Autres catégories de pathologies mentales criminogènes

 

Les pathologies mentales peuvent aussi avoir une cause endogène organique ou bien une cause exogène liée à l’utilisation de substances psychoactives.

 

Les affections neuropsychiatriques

Les affections neuropsychiatriques criminogènes sont au nombre de trois : l’épilepsie

 

(a), la démence (b) et le retard mental (c).

 

a- l’épilepsie

L’épilepsie ou comitialité est une affection chronique caractérisée par la répétition de paroxysmes ou crises dus à l’activation subite, simultanée et anormalement intense d’un grand nombre de neurones cérébraux. Il existe de nombreuses formes d’épilepsie. En France, environ 2% des admissions en psychiatrie sont le fait de troubles mentaux liés à l’épilepsie. Les motifs sont variés : troubles comportementaux, tentatives de suicide, confusion mentale, état délirant, syndrome dépressif. Les épisodes psychiatriques sont aigus et de durée brève. Ils concernent 5 à 8% des épileptiques. Dans la population carcérale, la prévalence de l’épilepsie est 2 à 4 fois supérieure à celle de la population générale. Néanmoins, les études ne montrent pas de différences significatives entre épileptiques et non épileptiques quant à la prévalence de la criminalité avec violences sur les personnes et les biens.

 

La violence chez l’épileptique est reliée à un certain nombre de facteurs. Certains d’entre eux sont spécifiques : sexe masculin, âge < 40 ans, QI inférieur à la moyenne, bas niveau socio-économique, mauvais traitements dans l’enfance. D’autres sont liés à la maladie : début précoce des crises, présence de lésions cérébrales, existence de multiples

types de crises partielles et généralisées. La violence en rapport direct avec le type de la crise elle-même n’intervient que pour une faible part dans la criminalité des épileptiques. Les troubles du comportement à caractère médico-légal sont le plus souvent décrits dans les états crépusculaires. Le sujet reste à peu près orienté dans le temps et l’espace et peut garder une activité relativement adaptée dans la vie quotidienne. Si l’état se prolonge, le sujet présente des fluctuations de l’état de conscience pouvant se présenter sous la forme de moments oniroïdes délirant (comme dans un rêve) et hallucinatoire (hallucinations visuelles surtout). Mais les troubles graves du comportement demeurent exceptionnels. Par ailleurs, l’épilepsie temporale est communément impliquée dans les comportements violents. Elle concerne plusieurs structures cérébrales contiguës et intimement reliées entre elles. Les crises générées sont partielles mais complexes, c’est-à-dire avec une altération de la conscience. Mais la question est de savoir si cette violence est une manifestation de la crise elle-même ou de la pathologie intercritique. Les données actuelles sont en faveur de l’extrême rareté de la violence en tant que phénomène critique.

 

L’épilepsie peut apporter à des degrés divers des remaniements de la personnalité parmi lesquels sont décrits une impulsivité, une explosivité et des troubles caractériels à l’origine de violence.

 

b- les démences

 

Les démences sont caractérisées par un affaiblissement global et durable des fonctions supérieures, d’intensité suffisante pour entraîner des difficultés d’adaptation professionnelle ou sociale. Cet affaiblissement concerne le raisonnement, le jugement, les capacités attentionnelles et l’orientation. Le dément va présenter progressivement des troubles du langage variables selon la nature et la localisation du processus de dégénérescence, mais le plus souvent il s’agira d’un appauvrissement du langage. Le dément souffre également de troubles praxiques (incoordination des mouvements vers un but proposé) et de troubles gnosiques (altération de la faculté de reconnaître par un des sens la forme d’un objet, de se le représenter et d’en saisir la signification).

Les troubles de la mémoire sont ceux qui inquiètent le plus souvent le sujet et son entourage. Ils peuvent concerner la mémoire à court terme mais aussi la mémoire à long terme dans les formes évoluées. Cet affaiblissement provoque des troubles caractériels et comportementaux à connotation parfois médico-légale. Ils sont nombreux et variés. Il peut s’agir d’une indifférence pour tout avec laisser-aller, incurie, et pour tous avec désintérêt, indifférence. Les autres remarquent un émoussement affectif, mais aussi une tendance accentuée aux colères associée à un égoïsme pathologique. Dans certains cas, le dément peut développer des idées délirantes hypocondriaques, de préjudice, ou de persécution, idées absurdes et incohérentes. Les troubles du comportement à caractère médico-légal concernent surtout les coups et blessures, mais aussi une tendance à l’exhibitionnisme par désinhibition par rapport aux normes sociales.

 

c- le retard mental

 

Le retard mental, ou arriération mentale, ou débilité mentale, se définit par un quotient intellectuel (QI) égal ou inférieur à 70 et par des particularités comportementales. Une comorbidité avec l’épilepsie est parfois retrouvée Un tiers des arriérations sévères est d’origine inconnue. Un tiers correspond aux trisomiques 21, mais leur sociabilité pose assez peu de problèmes en général et permet un maintien fréquent en milieu familial. Le dernier tiers est le fait d’agressions pré-, péri-, ou post-natales, de maladies héréditaires du métabolisme et d’aberrations des chromosomes sexuels. L’anomalie du « X fragile » serait à l’origine probablement d’une prévalence légèrement supérieure de l’arriération chez les sujets de sexe masculin.

La fréquence des troubles psychiatriques est nettement plus importante chez les arriérés mentaux que dans le reste de la population. Parmi les diagnostics retenus, sont retrouvés des troubles affectifs et la schizophrénie, même si ce dernier diagnostic porte à controverse. Mais c’est surtout les troubles de la personnalité et de l’adaptation sociale qui posent question en matière de dangerosité potentielle. L’interaction entre le sujet et son entourage est ici primordiale. L’ensemble des études montre une fragilité de l’arriéré aux modifications environnementales et une fréquence de la pathologie réactionnelle telle qu’une brusque désorganisation de la personnalité ou des réactions dépressives ou caractérielles. La personnalité s’organise le plus souvent sur un mode passif-agressif ou passif-dépendant, bien plus rarement sur un mode psychopathique franc. Ces sujets sont facilement manipulables par des tiers. Une corrélation est retrouvée entre l’importance de l’agressivité et le degré de déficit intellectuel du débile mental. Le sujet ne peut pas se projeter dans le long terme et donc ne mesure pas la portée de ses actes.

 

La pathologie mentale peut également être provoquée ou même aggravée par l’utilisation de substances psychoactives.

 

2- les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives :

Ces substances peuvent être licites comme l’alcool (a) ou parfaitement illicites (b).

 

a- Abus d’alcool et alcoolodépendance (ivresse aiguë, alcoolisme chronique) :

 

L’alcool est une substance psychoactive, puisqu’ayant une action sur le cerveau, licite mais dont l’usage est contrôlé. L’alcoolisme correspond à l’expression comportementale d’un désordre psychosociobiologique dont le déterminisme est multifactoriel et complexe.

L’étude de l’alcoolisme reste séparée de celle des autres substances psychoactives essentiellement parce qu’il est difficile de fixer des limites entre un usage socialement intégré, inscrit dans les traditions culturelles de nombreuses civilisations, et un usage pathologique ou mésusage, dont l’alcoolodépendance est un des aspects.

 

Le mésusage prolongé d’alcool est particulièrement délétère sur le plan de la santé tant physique que psychique, mais aussi socio-professionnel, et parfois juridique. Parmi les conséquences pathologiques, les troubles neuropsychiatriques sont fréquents et d’autant plus graves que la consommation est ancienne et/ou intense, quelles que soient par ailleurs les grandes variations individuelles face à l’alcool. Ces troubles concernent essentiellement des modifications de la vie émotionnelle, des troubles cognitifs et des attitudes sociales inadaptées, parfois marquées d’une réelle dangerosité. Les dommages sanitaires sont majeurs entraînant des décès prématurés chaque année de 45 000 personnes pour l’alcool (1 homme sur 7 ; 1 femme sur 33) et de 60 000 pour le tabac (équivalent du crash d’un Airbus de 165 personnes / jour).

 

 

Sur le plan clinique, les symptômes seront différents selon qu’il s’agit d’une ivresse aiguë ou d’une alcoolodépendance. « L’ivresse aiguë donne un aperçu des étages inférieurs du psychisme, elle permet aux couches profondes d’une personnalité psychopathique de se découvrir » écrivait Henri Ey en 1989. Tous les types de violence peuvent être observés. Ces manifestations sont en relation avec l’action directe de l’alcool éthylique sur le système nerveux central. Néanmoins, de nos jours, l’alcoolisation aiguë est un facteur aggravant de la peine devant les juridictions pénales. Il existe une corrélation entre ces manifestations aiguës,

la quantité absorbée, leur qualité et la tolérance du sujet, variable d’un individu à l’autre et selon l’état physique et mental de sujet à un moment donné. D’une manière globale, l’alcool lève des inhibitions sociales, favorisant comportements antisociaux et violences diverses. L’ivresse pathologique survient essentiellement lorsqu’il existe déjà un trouble de la personnalité (psychopathie, état limite…) ou un trouble organique cérébral (notamment l’épilepsie, l’alcool abaissant le seuil épileptogène). Elle survient suite à une ingestion importante d’alcool et peut durer plusieurs heures. Elle évolue fréquemment vers le coma. Mais avant ce stade, le sujet présente très souvent une agitation psychomotrice importante, clastique, pouvant évoluer vers une fureur agressive difficile à contrôler et durant laquelle la dangerosité est maximale.

 

L’alcoolodépendance provoque entre autres des complications neuropsychiques. Parmi celles-ci, les accidents de sevrage peuvent avoir des conséquences graves. L’un des plus connus et aux conséquences médico-légales potentielles est le delirium tremens, tableau excito-confusionnel grave comprenant des manifestations délirantes et hallucinatoires, surtout des visions terrifiantes, et des troubles végétatifs (déshydratation majeure). Il survient dans les

24 à 48 heures d’un sevrage brusque, volontaire ou non (maladie intercurrente, intervention chirurgicale, affection fébrile, par exemple) et non médicalisé. Les signes sont d’abord une recrudescence des tremblements des extrémités, une anxiété nettement majorée au tomber de la nuit, une fièvre plus ou moins modérée avec des sueurs profuses et une obnubilation intellectuelle (obscurcissement de la conscience). Puis l’évolution laisse la place à une confusion mentale majeure caractérisée par une désorientation temporo-spatiale, une obnubilation et un délire onirique intense avec des mécanismes illusionnels et hallucinatoires à prédominance visuelle, acoustico-verbale et tactile. Les thèmes les plus classiques évoquent des préoccupations professionnelles ou bien sont dominés par des « zoopsies » terrifiantes (visions d’animaux, souvent de petite taille comme des serpents, des araignées ou des rats). La dangerosité potentielle tient au fait que le sujet n’adhère plus à la réalité, a une abolition totale de son discernement, ne contrôle plus ses actes, et qu’il cherche à se protéger de ses visions particulièrement angoissantes ou qu’il obéit à des injonctions délirantes.

Les délires chroniques des alcooliques sont une autre complication dont l’implication médico-légale peut prendre des accents dramatiques comme dans la jalousie pathologique. Selon une étude de Mowatt de 1966, cité par Ades, 1/5 des hommes meurtriers jaloux seraient des alcooliques. L’alcoolodépendance peut évoluer vers des démences d’étiologie variable. Elles s’accompagnent fréquemment d’idées délirantes.

 

V- EVALUATION ET EXPERTISE

 

Nous avons depuis longtemps souligné les évidentes insuffisances de l'expertise psychiatrique en matière d'appréciation de la dangerosité et de la stratégie thérapeutique. La brièveté de l'expertise actuelle, son caractère souvent tardif par rapport aux faits, la difficulté d'appréciation de l'état mental et du comportement au cours d'un entretien souvent unique, le secret médical auquel sont astreints les médecins traitants, l'absence de renseignements provenant des proches, la fréquente dissimulation et/ou sursimulation des troubles font qu'il existe une différence notable entre les diagnostics et pronostics portés par les experts et ceux des psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire ou en unités pour malades difficiles.

À la différence d'autres systèmes judiciaires étrangers, la France ne dispose pas de procédures d'évaluation permettant la mise en évidence et la quantification d'indicateurs concrets de dangerosité criminologique et psychiatrique. Un effort certain doit être accompli en matière d'expertise pour évaluer de façon satisfaisante et régulière le risque de récidive. Bien sûr, prédiction ne veut pas dire certitude, le comportement humain étant infiniment complexe et ne pouvant se réduire à un bilan clinique, instrumental et biologique, même répété. Nous sommes dans le domaine des seules probabilités statistiques. Les prévisions les plus sérieuses sur l'état dangereux et les résultats de sa prise en charge laissent obligatoirement une place aux impondérables en matière d'activité humaine et de circonstances qui représentent une variable aléatoire, un élément conjoncturel.

Pour autant, la recherche et l'évaluation des prédicteurs de violence criminelle, des besoins individuels et des apprentissages nécessaires, des facteurs pouvant favoriser une réinsertion et des possibilités thérapeutiques sont à même d'orienter au mieux vers des mesures préventives et curatives susceptibles de réduire les risques majeurs de violence.

La création de centres régionaux d'évaluation et d'expertise criminologique pour les auteurs d'infractions graves, complexes ou récidivantes nous paraît en ce sens intéressante. La mission d'expertise pourrait être confiée à une équipe pluridisciplinaire utilisant l'examen clinique mais également des méthodes et échelles quantitatives d'évaluation des comportements et de la personnalité.

L'observation médicopsychologique prolongée permettrait au psychiatre expert de mieux apprécier la responsabilité pénale et la dangerosité avant condamnation ou libération. De telles structures médicolégales pourraient également permettre de mieux évaluer le pronostic et d'élaborer un programme individualisé de traitement. On éviterait peut-être ainsi la concentration anormale de malades mentaux graves, tout spécialement psychotiques, dans les établissements pénitentiaires ou du moins on pourrait espérer qu'ils y soient mieux soignés et réinsérés.

 

 

VI- CONCLUSION

 

Contrairement aux idées antérieures, la plupart des auteurs s’intéressant à la question de la dangerosité criminelle reconnaissent actuellement l’existence d’un lien entre violence, homicide et maladie mentale, lien persistant même après contrôle des données démographiques et socioéconomiques. Cette association paraît plus importante en cas de troubles mentaux sévères, en particulier psychotiques, le risque augmentant avec l’usage ou l’abus d’alcool et/ou de substances psychoactives. L’importance de cette association, bien que statistiquement significative, reste cependant modeste en comparaison d’autres éléments comme l’âge, le sexe, l’environnement familial, les niveaux d’éducation ou socioéconomique. La violence et les crimes pouvant être exclusivement attribués à la maladie mentale ne représentent en réalité qu’une faible proportion de la criminalité générale. Il est également nécessaire de souligner que la plupart des personnes souffrant de troubles mentaux ne commettront jamais d’infractions graves et seront plus probablement les victimes d’autrui. Les violences des malades et handicapés mentaux concernent enfin le plus souvent leurs proches, à l’opposé des clichés véhiculés par la télévision, le cinéma ou la littérature.

 

Les psychiatres sont sollicités de façon croissante dans le cadre d’expertises psychopathologiques pour éclairer la justice, évaluer la dangerosité et mettre en œuvre des protocoles de soins et de réhabilitation (injonction thérapeutique). Pour cela, ils devraient s’aider d’instruments validés et, dans leurs conclusions, s’en tenir prudemment aux données issues des études empiriques ayant isolé les principaux facteurs de risque en matière de récidive.

 

 

VII- BIBLIOGRAPHIE

 

 

  • Criminologie et psychiatrie encyclopédie médico-chirurgicale (EMC 37-906-A-10) M Bénézech -P L e Bihan -ML Bourgeois .

  • La criminalité des malades mentaux Christine Fidelle thése Sous la direction du Docteur Jean-Claude BOSSARD Université Pantheon- assas. 2010

  • www.neuropsychiatrie.fr Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2007 ; 30 : 75

 

 

 

Les maladies psychiatriques criminogènes
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article